chroniques de la haine apaisée:2


J’étais assis dans le métropolitain suburbain, je voyageais de chez moi à chez lui, pour ce je m’étais vêtu d’un pantalon  de laine gris, d’une veste sombre… mes chaussures brillaient, je les avais cirées le matin passé… j’aimais ce brillant mordoré qui enveloppait le cuir vieilli de mes fausses chaussures anglaises. Mes lunettes étaient propres, sans taches aucunes, je prenais loisir et plaisir chaque matin  à les ultrasonnées,leur écaille translucide était assortie à la couleur du cuir brillant de mes chaussures. J’étais assis, petitement, je ne regardais rien, je ne pensais qu’à la satisfaction naissante qui emplissait mon corps, j’allais jouer au Scrabble chez lui et  je savais que j’allais encore gagné, je m’y préparais depuis de nombreux jours. Chaque mois, je retrouvais mon père, pour une partie de Scrabble, chaque mois je gagnais cette partie, j’allais encore gagner celle-ci.

Je frappai  à sa porte , il m’ouvrit et me tourna le dos immédiatement sans me parler comme  à son habitude… Le jeu était préparé sur la table de chêne doré de la salle à manger, il avait recouvert celle-ci d’une toile cirée  à l’imprimé boisé imitant le contreplaqué de hêtre. Le jeu était posé, le tirage n’avait pas encore été fait, il m’attendait. Nous nous assîmes, face  à face, toujours dans ce silence propre aux grands évènements et propices aux grandes concentrations. La partie commença comme d’habitude , si ce n’est un tirage qui fut dès le départ plus favorable à mon père… mais mon vocabulaire plus riche devait me permettre finalement de gagner. La partie dura une heure et trente-huit minutes, à la fin de celle-ci, j’avais une petite avance sur mon père et il me paraissait improbable qu’il put placer un  mot entier, tout au plus une lettre… j’avais analysé toutes les possibilités, comptabilisé toutes les lettres… il ne pouvait pas en être autrement. Il plaça un petit mot, simple, auquel j’avoue je n’avais pas pensé: con… l’une de ses lettres comptait triple. Au total mon père avait un point de plus que moi. J’ai gagné dit-il avec un large et franc sourire  remontant jusqu’à ses yeux qui me fixaient  exaltés. Je me levai, pris ma chaise de chêne, la levai au-dessus de ma tête et le frappai plusieurs fois, à mort… son sang tachait le faux tapis persan de la salle  à manger… Il m’avait parlé pour la première fois et je n’aimais pas le son de sa voix…

chroniques de la haine apaisée:1


Je suis abasourdi par ce petit bruit de grignotement qui provient du corps de mon ennemi, les vers et les rats ont commencé  à le recycler… le recyclage, la consommation du 21 ème siècle. Il est donc là, à côté de moi, définitivement éteint, son léger courant électrique qui parcourait son regard quelques jours auparavant, s’est évanoui dans la nature, il a rejoint le flux constant. Nous étions ennemis, sans pour autant se connaître… il habitait en face, de l’autre côté de la rue, je me souviens de sa silhouette sombre qui passait devant sa fenêtre, le fusil à la main, parfois il ouvrait les battants, sortait le canon de son arme et tirait. Je ne l’ai jamais dénoncé, je le comprenais… en silence. Je comprenais cette pulsion de mort qui l’habitait, je le regardais et au moment où les corps tombaient, je souriais… Un jour, c’est vers mes fenêtres qu’il a ouvert le feu, il m’a raté mais la balle a traversé la pièce et est allée briser la vitre qui protégeait le maillot de l’équipe de Rance qui trônait en l’exact milieu du mur situé  à l’opposé de la porte fenêtre de mon appartement… J’ai pris le couteau de cuisine, j’ai descendu sans me presser les quarante-huit étages de ma tour, j’ai traversé la place et j’ai rejoint, sans prendre l’ascenseur, la porte de l’appartement derrière laquelle vivait la silhouette, j’ai frappé  à la porte, il ou elle a ouvert, je n’ai pas cherché  à savoir, j’ai frappé d’un vingtaine de coups profondément portés… Il ou elle est tombé. Je me suis alors autorisé  à pénétrer dans son salon. Sur le mur à l’opposé de sa porte-fenêtre, exactement au milieu du mur, protégé par une vitre  à l’épaisseur conséquente, le maillot de l’équipe de Rance maladroitement rapiécé vers l’emplacement du coeur, une taille au dessous de la mienne….

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