Le lundi matin suivant, je l’appelai sur son portable. Elle répondit avec un ton de voix qui ne lui ressemblait pas, comme un bon petit soldat elle me disait oui, sur un ton sec d’enfant obéissant. Je lui proposai un rendez-vous dans un café au centre de la rue principale. Elle arriva à l’heure exacte, vêtue d’un jean et d’un blouson de cuir…. simplissime, banale, érotiquement paisible…. mais son sourire rayonnait. Durant deux heures nous parlâmes, elle questionnant, moi répondant au plus juste. Clémence comprenait parole après parole l’importance du choix qu’elle avait fait. Je sentais qu’elle appréciait ma présence avec un respect que je ne lui avais pas connu jusqu’à ce moment. Elle s’était faite absente juste pour cette rencontre, sans effort son féminin s’était placé à la surface de sa peau, reléguant au second plan le parfum de celle-ci, son grain épidermique laissant suinter une légère sueur dont l’odeur très légèrement acide me laissait à penser que Clémence était légèrement stressée. Mais aucun geste parasite n’entravait la logique de ses questions. Elle portait un soutien gorge noir à balconnet sous son blouson de cuir noir dont elle avait descendu la fermeture… il faisait chaud dans ce café. Ce matin là, je lui demandai de se rendre au plus tôt dans une église et d’y rencontrer un prêtre qui n’avait d’intéressant que le fait d’être le petit cousin d’un cardinal pour qui le siège papal serait un jour une réalité. Je pense sincèrement qu’elle fut déçue de ma première demande, s’attendant sans doute à plus d’action ou de mystère. Elle savait cependant que le cheminement labyrinthique que sa vie allait prendre ne serait pas sans surprise. Quand je sortis du café, la femme en noir était dans la rue, elle l’attendait. Clémence chercha à croiser mon regard, je n’étais déjà plus visible à ses yeux… j’étais fasciné par les courbes de la femme en noir.
Elle saisit son téléphone, sans aucune hésitation, composa le numéro, mon numéro… Mon téléphone sonna, je le laissai sonner trois fois avant de décrocher.
» Bonjour Clémence, heureux de vous entendre
_ Bonjour… Comment dois-je vous appeler ?
_ Vous, me suffira. Vous vous êtes enfin décidée à accepter ma proposition ?
_ Il y a de fortes chances, mais j’aimerais à nouveau vous rencontrer.
_ ce ne sera pas possible de suite… Je veux juste vous dire que depuis trois ans, je vous observe, je vous protège de certaines personnes et de certains déroulements de situations dans lesquels vous pourriez choir, mais je vous laisse affronter votre réalité telle que vous l’avez envisagée. Je ne suis près de vous que pour protéger ce que vous représenter pour notre congrégation…Quand vous aurez acceptez, je préviendrai mes pairs et vous pourrez commenc…
_ Comment êtes-vous certain de ne pas vous tromper ?
_ Je ne suis certain de rien, vous êtes celle sur qui mon regard s’est arrêté, mon intime conviction, ma certitude faite femme… Si vous acceptez et que vous rompez notre contrat sans nous trahir, je me contenterai de passer à une autre recherche.
_ C’est oui… mais à condition que nous commencions de suite. Je veux commencer à devenir…
_ C’est l’effet de quelques jours, je dois d’abord en informer mes pairs, obtenir leur assentiment et seulement après je te dirais que faire. Je te téléphonerai… »
Je raccrochai et repris son observation de la fenêtre qui donnait sur la cour intérieure de son bar d’où elle venait de me téléphoner. Elle ne chercha pas à me repérer, elle raccrocha en souriant, leva les yeux vers les immeubles qui entouraient sa cour. Elle était vêtue d’une robe rouge, ses cheveux étaient d’un roux plus auburn que d’habitude. Elle releva sa robe sans dévoiler son ventre et quitta adroitement, tout en se déhanchant harmonieusement au son de la musique que l’on entendait par la porte de secours ouverte, sa culotte de soie noire qu’elle laissa au milieu de la cour non sans s’être essuyée la bouche avec… Je fis mes courriers, les postai. Les réponses revinrent, toutes, une petite dizaine de jours plus tard. Désormais je ne m’occuperai que de Clémence. Je lui téléphonai, il était six heures du matin, elle était couchée depuis quelques heures. Je dormais quand elle dormait, ouvrais les yeux quand elle se réveillait, me réveillais quand elle ouvrait les yeux…
Clémence continua sa vie prestement commencée, les trois derniers mois qui la conduisaient à sa vingtième année se passèrent silencieusement en observant le monde qui l’entourait, en téléphonant à la femme en noir qui avait commencé à écrire l’histoire de sa vie. Elle avait plutôt écrit ce qu’elle pouvait penser de la vie de Clémence, peut-être se pensait-elle capable de lui imaginer un passé qui serait plus intense que la vie d’enfant que Clémence avait vécue, mais il ne m’était pas possible de savoir ce qu’elle écrivait sur ses feuilles de, papier qu’elle conservait dans un semainier de cuir noir qu’elle s’empressait de confier à son garde du corps, géant de son état, armé et méfiant de par la fonction qui lui était attribuée. J’attendais que ce livre soit publié pour comprendre ce que cette femme pouvait souhaiter de Clémence ou peut-être n’était-ce qu’un simple désir sexuel sublimé que cette femme exultait à travers un écrit qu’elle semblait prendre à coeur ?… Plusieurs fois je la regardai écrire, il y avait parfois un début de sourire qui illuminait son visage et puis cela devenait un réelle tension qui se présentait à ses sourcils, alors elle se concentrait encore plus et au bout d’une dizaine de lignes elle se dépêchait de ranger sa feuille dans son classeur noir, l’homme le prenait sous le bras et il était très dur d’envisager une quelconque prise de l’objet, ses deux mètres étaient un frein à toute tentative. Un soir elle lui fit lire les trente premières pages. Clémence se concentra, effort qui disparu au bout d’une dizaine de secondes, elle sourit, s’apaisa encore plus lorsqu’elle finit de lire. Elle se retourna vers la femme et l’embrassa à ma grande stupeur sur ses lèvres qu’elle avait recouvert d’un puissant rouge à lèvres pourpre… elle en trembla, j’en frémis… Clémence retourna sur ses pas, vêtue d’une robe fourreau mordorée, à la transparence certaine, transparence qui exaltait ce soir là la puissance érotique de ses courbes… Je fus pris d’une érection soudaine que je me refusai à accepter. La femme en noir se propulsa auprès de son garde du corps, elle essuya une larme. Clémence sortit de son tiroir de bureau le portefeuille rose dans lequel elle rangeait la carte que je lui avais confiée quelques années plus tôt.
Elle la regarda, et de nouveau la rangea au même endroit. Sa vingtième année approchait et elle commençait à saisir avec la plus grande finesse, l’impact qu’elle avait sur son entourage, pour preuve sa micro réussite sociale, qui certes ne lui apportait aucun satisfecit d’ordre matériel et personnel, si ce n’est certainement la compréhension intelligible de ce que sa féminité donnait à la lisibilité à moyen terme de sa vie. Elle installa trois autres jeunes femmes en lieu et place de sa personne qui s’acquittèrent avec la plus grande diligence et vélocité de la fabrication des cocktails. Clémence gérait, créait d’autres boissons sexuées… donnait l’impression d’attendre une suite à sa vie.
La femme en noir réapparut, toujours vêtue de cette même robe noire, qui j’ose espérer était un duplicata d’une nombreuse série que son tailleur avait conçue pour elle. Je ne sais comment elle avait trouvé Clémence, mais quand je la vis entrer dans le bar de nuit qui désormais s’appelait … »Clémence », elle donna l’impression de connaître les lieux, pour preuve elle se dirigea de suite vers l’une des nombreuses portes qui abritait le bureau de Clémence. Malheureusement pour moi, le micro que j’avais réussi à installer une nuit d’un dimanche de fermeture cessa de fonctionner au milieu de leur conversation. Je n’eus droit qu’à la moitié de leur dialogue. Elle se présenta à Clémence comme un écrivain qui l’avait croisée au coin d’une rue il y a presque deux années auparavant, qu’elle avait été marquée par sa beauté et qu’elle voulait écrire un livre sur sa vie. Clémence résuma le fait en quatre mots:
« Vous serez ma biographe…
_ En quelque sorte… peut-être un peu plus romancé que vous ne l’imaginez.
_ Vous n’aurez pas besoin d’ajouter du sens littéraire et romancé à ma vie, elle vous paraîtra suffisamment haletante pour que vous vous contentiez de simplement la raconter.
_ Mais d’abord il faut que je vous racon….. »
La micro tomba en panne à cet instant et la femme en noir sortit une trentaine de secondes plus tard. Je ne pense pas qu’elle ait pu lui dire quelque chose d’important, mais désormais, je surveillais aussi cette romancière…
Elle s’installa dans un F1 assez banal, elle se contenta de repeindre les murs dans un ton rose plus chair que saumon… elle s’y sentit bien. Durant une semaine elle chercha quel métier elle aurait pu bien faire, passant de petites annonces en petites annonces… Elle ne pouvait être vendeuse, elle n’avait rien à vendre. Elle ne pouvait être boulangère elle n’aimait pas le pain, elle ne pouvait qu’être serveuse dans un bar de nuit. Quand le patron la vit, il fut choqué, non pas par son physique mais plutôt par le potentiel de gain numéraire qu’elle représentait. Clémence était derrière un comptoir un investissement d’une rentabilité certaine un 200% assuré surtout si elle s’habillait avec la même petite robe dont le dos nu s’arrêtait exactement là où commençait sa raie interfessière qu’elle avait haute placée et axée dans l’exacte courbe de sa chute de rein… elle était un volume géométriquement stable mais à l’émotionnalité instable. Le premier soir, elle vint avec cette petite robe dont le décolleté invitait à la consommation à outrance, ses seins trempaient dans le whisky… Au bout de huit jours elle avait renommé tous les cocktails du bar et en avait inventé de nombreux autres. Le bloody mary se nommait « l’in-Clémence », elle y plongeait en direct le téton de son sein droit… pour trente euros de plus , le client goûtait au breuvage en tétant son sein, elle inventa le « fucking-me »: derrière le bar elle plongeait un doigt dans le cocktail, doigt qu’elle introduisait ensuite dans son sexe, elle finissait par le retremper dans le breuvage et le faisait boire au client en le regardant dans les yeux… il en coûtait cinquante euros. Le summum était le fellation-one: pour cent cinquante d’euros Clémence urinait quelques gouttes dans le verre, masturbait le client qui éjaculait dans le shaker , elle mélangeait le tout à une fine champagne, quelques gouttes de curaçao du Guatemala, quelques gouttes de salive qu’elle laissait tomber sur le sexe en érection, son verre dessous se remplissait, alors pour finir elle ajoutait un peu de citron, cinq gouttes de Grand-marnier, du piment d’Espelette et un dé à coudre de vodka… Elle en faisait jusqu’à 30 par nuit. Les hommes buvaient, les femmes de ces hommes buvaient… les femmes demandaient à boire des verres d’hommes au hasard… Elle finit par exiger cinquante pour cent de chacun des verres qu’elle servait. Le patron ne sut refuser… il s’enrichit, elle se rendit indépendante à outrance et finit par augmenter librement le prix de ses cocktails. La police ne trouvait rien à redire, on leur servait des verres gratuits. Elle inventa même en leur honneur un spécial, le « twenty two » qu’elle fabriquait à partir de salive de femme, cinq au maximum, d’urine purifiée de femmes fontaines qui se masturbaient au-dessus du verre, elle avait ses habituées et de trois vodkas différentes, le tout agrémenter d’un jus de goyave fraîche qu’elle faisait venir du Venezuela pour l’occasion… C’était gratuit pour les deux policiers qui passaient une fois tous les quinze jours et payant à outrance pour les traders enrichis qui ne savaient plus quel sens donné au mot foutre d’une femme… Elle finit par racheter la boite de nuit de son patron qui après un infarctus préféra se retirer à la campagne. Elle était chez elle, elle choisirait qui entrerait… Au bout de neuf mois, elle quitta son F1 pour un six pièces… Elle regarda à nouveau ma carte toujours rangée dans son portefeuille rose.
Le fleuve prit le souvenir de ce corps. Clémence retourna chez elle comme si de rien n’était, elle y resta une dizaine de jours, couvant ses mots. Elle ne sortit pas, resta visiblement dans sa chambre. Au matin du onzième jour, elle sortit… plus belle qu’elle ne l’avait jamais été. Elle avait coupé ses cheveux très courts, les avait teints en un orange vif qui contrastait fortement avec le vert émeraude de ses yeux . On apercevait l’aréole tourmentée de ses deux seins pointant victorieusement sous une robe blanche librement transparente. À son regard lumineux et vorace, je sentis qu’elle avait besoin d’hommes… Durant le mois qui suivit, chaque soir fut l’occasion d’en rencontrer un différent. Elle commença par de gros et forts mâles à la carrure impressionnante qui ne l’impressionnèrent nullement, ils finirent à genoux, devant elle, plus soumis que des chiens qui attendent leur pâté. Elle continua avec de beaux ténébreux, cachés derrière leur lunettes noires, leurs vestes noires dont le col remonté masquait des chemises aux cols élimés… Ils finirent par chanter « y’a d’la joie » le matin au lever. Elle s’enticha quelques heures d’un quadra, conquérant, roulant dans une grosse voiture achetée avec la prime que son entreprise lui avait donnée parce qu’il avait doublé son objectif annuel dès le mois de mars…. Alors qu’il roulait sur l’autoroute et que Clémence s’occupait de l’exaltation du conducteur, il eut le malheur, accidentel ? de laisser son téléphone portable sonner à son domicile, sa femme enceinte eut l’orgasme en direct, la comparaison entre elle et Clémence aussi… Le lendemain quand il rentra chez lui, tout du moins ce qu’il en restait, il apprécia la blancheur des murs, la sémantique complexe du mot « enculé » enregistré sur le répondeur du téléphone, les notes de frais chargées volontairement que sa femme avait balancées au service comptable de son entreprise… Il regretta que sa compagne, avocate douée, se chargea elle même de leur divorce. J’envoyai par pur plaisir et respect de mes convictions, anonymement, des photos prises alors qu’il côtoyait dans un mélange salivaire avancé, une autre femme, avant que Clémence ne l’enlève à l’insu de son plein gré. Clémence essaya toutes les couleurs de peau, toutes les tailles de corps, de sexes, remarqua que les plus gros n’étaient pas forcément les plus efficaces, que les hommes qui prenaient le temps de s’occuper d’elle et qui savaient contenir leur propre excitation étaient ceux qui lui donnaient les plus beaux orgasmes et étaient ceux qui avaient les plus beaux orgasmes. Elle les abandonna avant qu’ils ne se réveillent, les laissa le pantalon sur les chaussures avant qu’ils aient fini d’éjaculer, leur cracha parfois leur sperme au visage, l’avala devant eux glorieusement… Et puis un soir elle fut repue, ses vêtements sentaient sa propre odeur de sexe, son ventre sentait le sexe et le sperme, elle avait outrebaisé, outresucé, outrejoui… il lui fallait se reposer. Durant toutes ces semaines, une fois je la vis regarder la carte que je lui avais laissée, elle était seule à posséder ce numéro, ce téléphone était pour elle, elle le regarda et le rangea précautionneusement dans un porte feuille rose qu’elle portait à même les poches de son jean parfois ou alors dans la poche d’une veste… jamais je ne la vis porter un sac. Je sentais la maturité émotionnelle et physique de Clémence s’accomplir là sous mes yeux. Alors elle s’en retourna chez ses parents pour leur annoncer qu’elle allait déménager, prendre un petit appartement, qu’elle avait bientôt dix-neuf ans et qu’il fallait qu’elle apprenne à vivre seule. Ses parents s’inquiétèrent du problème financier. Clémence avait reçu de sa grand-mère un petit héritage suffisant pour vivre et se loger pendant deux années au moins et elle leur dit qu’ils n’auraient aucun effort à faire. Ils s’en trouvèrent soulagés. Ils prirent leur dernier repas ensemble. Le lendemain , elle boucla sa valise pour une grande ville, n’oublia pas un bougeoir à quatre branches qu’elle avait toujours vu chez ses parents et qu’elle aimait plus que n’importe quoi, elle ne s’en était jamais servie et avait toujours imaginé qu’elle pourrait le mettre dans son jardin plus tard. Clémence prit le train, oublia l’université qui ne lui avait rien apporté, juste sa première voix et son premier meurtre qui n’en était pas un, c’était une pulsion de sauvegarde comme une pulsion de plaisir. Je la suivis dans cette ville…
Clémence prenait toujours autant de plaisir à l’écouter. Un soir, alors qu’elle lui avait donné rendez-vous dans un parc, par une belle soirée printanière, elle resta une heure à l’écouter lire des poèmes de Michaud. Elle était immobile, maladivement immobile, je ne l’avais jamais vue ainsi, son corps s’en était même vouté, sa poitrine tombait sur son ventre, donnant l’apparence de s’être arrondi… était-elle enceinte ? j’étais persuadé du contraire, mon observation journalière de ses déplacements et rencontres me laissait à penser qu’elle n’avait croisé aucun homme suffisamment intéressant pour qu’elle ait pu se laisser aller à cette nécessité biologique et égoïste. Non, elle était pleine de la voix et des textes que ce jeune homosexuel lui avait lu pendant près de neuf mois. Quand il eut fini, elle le regarda droit dans les yeux et s’adressa à lui.
« Tu sais… on va arrêter de se voir, je n’en ai plus envie, je n’en ai plus besoin…
_ De quoi me parles-tu, besoin de quoi ?
_ Besoin d’entendre ta voix, besoin d’entendre tes textes, besoin de cette sensibilité qui m’a simplement positionnée à côté de toi…
_ Mais nous sommes des amis, il y a quelque chose qui s’est scellé entre toi et moi…
_ Il y a juste le temps et l’espace qui s’est posé là, toi qui avait envie de lire, de donner du texte à mon corps, mon corps qui avait soif et faim de tout ces mots, de ce sens qui maintenant est en moi. Je suis enceinte de ta voix, tout cela va germer, ces mots seront mon sens à venir. »
Le jeune homme était en plein désarroi, au bord d’une crise qui aurait pu être de larmes ou de nerfs. Lui, qui jusque là n’avait aimer et désirer que des hommes, sentait en lui une violente pulsion qui aurait pu le pousser à frapper cette femme ou à toucher son corps pour se l’approprier comme un morceau de viande qu’on avale goulûment, croyant calmer sa faim. Cependant ce n’est que sa main droite qui saisit l’épaule gauche de Clémence, il lui fit presque mal. Elle positionna sa main droite sur sa main gauche, la retira calmement puis la lâcha. L’énervement de l’homme devenait de moins en moins perceptible et de plus en plus visible. Il éleva la voix, chose qu’il n’avait jamais fait et cette voix maintenant moins chaude, plus forte, à la fréquence différente de celle que Clémence avait eu l’habitude d’entendre, celle qui laissait son esprit se lover au creux de ce son, cette voix eut l’effet d’un électrochoc. Le regard de Clémence changea, je retrouvai cette étincelle froide que j’avais repérée la première fois. Elle prit de sa main droite, la baguette de bambou qui maintenait le chignon, qu’elle avait d’un roux plus orangé qu’à un certain moment. Le jeune homme n’eut pas le temps de savoir si sa crise serait ou de larmes ou de nerfs, elle lui planta cette baguette de bambou droit dans l’oeil droit, atteignant le cerveau. Il mourut sur le coup, s’écroulant sur le gazon du parc vide. Clémence laissa ses cheveux retombés, ils me parurent plus rouges qu’orangés sous la lumière naissante du lampadaire à gaz néon du parc. Le corps gisant, Clémence debout et droite, tous deux sous ce lampadaire, tous deux immobiles. Je pris une photo dont les couleurs s’estompaient bien avant que le temps passe. Clémence se retourna, l’étincelle de ses yeux était revenue, juste plus chaude qu’avant. J’avais toujours de l’acide dans le coffre de ma voiture.
Je m’intéressai de plus près à ce jeune homme dont la déroutante insignifiance m’avait laissé à penser qu’il ne pouvait pas être perturbant pour Clémence, et ce surtout parce que j’avais compris son attirance physique pour les hommes. Mais plus je voyais Clémence se tempérer plus je m’inquiétai du pourquoi de cette situation, de la réelle teneur de leur relation. Mon observation patiente et aiguisée de leur continuum journalier dut se compléter d’une écoute précise de leurs dialogues. Ce jeune homme n’était pas l’étudiant de deuxième année que j’avais cru reconnaître, il était élève dans un cours de théâtre et sa voix, le juste son de sa voix mettait Clémence dans un apaisement émotionnel tel qu’elle ne ressentait plus le besoin de laisser exprimer sa personnalité qui apriori brillait ou existait par sa sexualité débordante et expérimentale. Les textes qu’il lui lisait, les poèmes qu’il déclamait ou récitait la remplissait, remplissait ce vide intérieur qui la caractérisait jusqu’à ces instants. Il lui lisait du Céline, lui récitait du Rimbaud, s’inquiétait avec elle sur du Mayakovsky, pleuraient parfois tous deux sur des vers étrangers prononcés… Ces instants vibratoires mettait le corps de Clémence dans une harmonie sensuelle suffisante pour qu’elle n’éprouve pas le besoin de se laisser aller à des explorations corporelles diverses et incertaines. Son être s’harmonisait à la voix de cet homme, je la voyais se structurer, se densifier. Son appétence réelle pour la fréquence vocales de ce garçon l’éloignait de ses prises de pouvoir copulatives qu’elle avait pu avoir à d’autres moments. Je fis tout ce qui était en mon pouvoir pour que la dix-huitième année de Clémence se passa ainsi, éloignant ou déroutant du chemin de Clémence tous les hommes dont je pensais qu’ils auraient pu, par leur présence physique, perturber cette maturation… Elle s’endormait souvent un livre à la main, Le son de cet homme stationnait en elle…