Elle s’appelait Claire, tout du moins c’est ainsi qu’elle se nommait sur son réseau social docile… Elle travaillait chez elle, graphiste, bricologue, ethnologue du clavier , découvreuse de pixels, transpeloteuse d’électrons transformés et mère au foyer seule, divorcée, incluse dans un temps du passé contre lequel elle se battait. Elle s’appelait certainement Claire, tous ses amis numériques la connaissaient sous ce vocable féminin hautement lumineux, sobrement érotique depuis qu’Eric Rohmer avait focalisé sur le genou de l’une d’elles. Chaque matin, consciencieusement elle se levait, maternante, décoiffée, oubliée, s’occupait de des enfants, les conduisait à l’école puis retournait chez elle, peu avant neuf heures, où elle se changeait. Elle commençait par se maquiller, insistant sur la rougeur de son far à lèvres, parfois lourdement, mais la souple onctuosité du fin dessin de ses lèvres effaçait irrémédiablement la violence érotogène du rouge de son maquillage labial, elle aurait pu embrasser alors …Maintenant elle s’appelait Claire. Après son maquillage elle revêtait le plus souvent un jean noir qu’elle agrémentait d’un T-shirt coloré, donnant un peu de sens visuel et rythmique à son corps. Son corps n’était ni parfait ni abandonné, bien au contraire elle aimait la courbure de ses hanches qui annonçaient une paire de fesses dont la féminité presque exubérante aurait pu, par certains moments laisser penser qu’un homme s’y était souvent et longuement attardé… quelques fois, elles imposaient le silence méditatif et parfois elles donnaient l’envie de l’irrespect, de l’abus. Une fois habillée, elle s’asseyait sur son fauteuil, allumait cérémonieusement son ordinateur, ses écrans… elle avait ritualisé tout ce processus, un peu comme un accouchement récurrent. Il y avait un ordre simple, précis mais cependant strict auquel, pour rien au monde, elle n’aurait dérogé.Tout se passait dans une organisation sonore, rythmé par le bruit des disques durs qui s’allumaient les uns après les autres. Ses écrans teintés de bleus clairs différents, au nombre de trois, finissaient par éclaircir la noirceur de la pièce dans laquelle elle avait choisi de travailler. Il fallait une petite trentaine de seconde pour que cette quadragénaire, puisse de sa main droite, fine, subtilement musclée par de nombreuses années de travail informatique et par la grâce de son index cliquer sur la douce structure de sa souris, maladroitement dénommée. Claire appelait cet outil sa chose et elle cliquait avec légèreté, sa manière de poser son doigt sur sa chose aurait pu inspirer un cinéaste… il y avait parfois tant d’émotion dans son doigt.